-->

vendredi, juin 24, 2011

Etre humain

Tous les hommes sont-ils dignes de la qualité d'être humain? La dignité est-elle inaliénable? Peut-on la perdre? le philosophe Eric Fiat, auteur de «Grandeur et misère des hommes, petit traité de dignité» (Larousse) a répondu à vos questions.
Dodcoquelicot : Ne pensez-vous pas qu'une trop grande notion de dignité peut entraîner les pires exactions ou, tout du moins, nous paraître quelque peu «réactionnaire»?
Eric Fiat. L'un des sens du mot dignité est «tenu, contenant, maintien, maîtrise de soi», on peut en effet admettre qu'il est bon que les hommes se soient un peu libérés d'une obligation trop prégnante à se tenir, à se maîtriser, à se contenir. En ceci, oui, on peut considérer qu'il y aurait quelque réaction à vouloir que les hommes, en effet, «se tiennent», «se contiennent», «se retiennent», en toutes circonstances.
Cependant, fondamentalement, je ne crois pas du tout qu'il soit réactionnaire d'exiger de tout homme qu'il essaie d'être digne de sa dignité d'homme. Il me semble qu'il y a, en tout homme, quelque chose d'éminent, quelque chose de sacré, et je trouve que tout homme devrait essayer d'être à la hauteur de cette chose éminente et sacré qui se trouve en lui. Je ne trouve pas que ce soit réac qu'on demande à l'homme qu'il garde sa dignité. Garder sa dignité, ce n'est pas garder quelque chose qu'on risquerait de perdre. Si l'homme devait garder sa dignité comme un homme ses cheveux, ou une fille sa virginité, alors la dignité ne ferait pas partie de l'humanité.

??. Sait-on depuis quand cette notion de «dignité humaine» est entrée dans le sens commun? Est-ce qu'il y a eu un moment dans l'Histoire de l'humanité qui a été déterminant?
Il y a eu deux moments déterminants: à la Renaissance et au XIXe siècle. A la Renaissance, fourmillent les traités de la dignité humaine, et ce sont des textes chrétiens. Au XIXe cette notion devient à la mode, au moment où la bourgeoisie supplante la noblesse. Parce que la valeur suprême pour les nobles c'était l'honneur, comme les bourgeois ne pouvaient pas lutter avec les nobles sur le terrain de l'honneur, il ont promu une nouvelle valeur: la dignité.

Omik. La dignité n'est donc pas inné?
Je n'aime pas me servir du couple inné-acquis. L'homme vient au monde porteur d'une valeur absolue, et dignité vient de «dignus» qui veut dire «qui vaut», «qui a de la valeur», en ceci on pourrait dire que la dignité est innée. Mais, l'homme doit apprendre ensuite à être digne de cette dignité. Pour cette raison, on peut dire que la dignité s'acquiert.
Par exemple: on apprend à l'enfant ne pas s'enduire de ses propres excréments, on lui apprend à respecter autrui. Donc, ça n'est ni inné, ni acquis, ou bien c'est à la fois inné et acquis.

Pasjuste. Plus on est démuni, pauvre, plus la notion de dignité s'éloigne, qu'en pensez-vous?
La pauvreté, la misère, plonge l'homme dans une condition indigne de sa dignité. Mais, la misère ne lui fait pas perdre sa dignité. Même si l'homme misérable peut perdre le sentiment de sa dignité, il serait scandaleux de dire qu'il a perdu sa dignité. Bref, distinguons la dignité du sentiment de la dignité.

Mathieu. N'est-ce pas la société qui impose ce qui digne et indigne, qu'est-ce que vous en pensez?
Oui, chaque civilisation a ses propres normes au sujet de ce qui est digne et de ce qui ne l'est pas. Il y a donc bien une relativité des usages. Cependant, le but est universel: préserver la valeur sacrée de tout homme. Ce n'est pas parce que les normes sont relatives qu'elles doivent être méprisées.

Iradié. Face à «l’hystérie de l’information», l’hypercommunicabilité, la dignité n’est-elle pas de redevenir un peu invisible?
Cette proposition me séduit beaucoup. L'un des synonymes de dignité est pudeur, parce qu'on se «drape dans sa dignité». Préserver sa dignité c'est donc en un sens préserver sa pudeur. L'hypercommunication rend difficile le secret, sans secret pas de pudeur, sans pudeur peu de dignité. Réinventons le clair obscur de Rembrandt ou de Baudelaire!

Debora. Les politiques abusent-ils du mot dignité, le font-ils en toute conscience?
Ils ne sont pas les seuls à en abuser. La formule «il faut respecter la dignité de la personne humaine» sature les discours. On l'entend aussi bien dans les églises que dans les loges, dans les écoles et dans les stades, dans les meetings de la gauche vertueuse, et dans ceux de la droite «vicieuse».
Mais parler trop de dignité, n'est-ce pas en manquer? La dignité fait partie des vertus fragiles, avec la modestie, la pudeur. De même qu'on ne peut être modeste et le proclamer (proclamer qu'on est modeste est une preuve d'orgueil). De même qu'on ne peut pas être pudique et le dire (il est impudique de se dire pudique). De même, c'est peut-être manquer de dignité que d'en trop parler. Mais ça ne concerne pas que les hommes politiques.

Aucun commentaire :