-->

vendredi, juin 24, 2011

Modèle économique


Madoff plus grand escroc de l'histoire? Pas évident, car il y a de la concurrence dans le secteur. D'abord, les estimations initiales ont été revues à la baisse et la pugnacité du liquidateur nommé dans l'affaire permet de récupérer des sommes importantes. On apprend aussi que Madoff avait un homologue en Russie, en version plus bas de gamme. Et puis il ne faut pas oublier Michael Milken, inventeur des junk bonds dans les années 80 avant de prendre dix ans de taule et qui aurait en partie inspiré le célèbre personnage de Gordon Gecko dans Wall Street. Ni Nick Leeson, l'homme qui fit couler la vénérable Barings avec une paume de 1.4 Mds$. Somme depuis surpassée par notre Kerviel national qui, lui, n'a pas réussi à faire sombrer la SocGen. Et puis, pour rester en France et dans le domaine de la fraude pure et dure, il y eut au début du siècle l'affaire Stavisky, escroc qui finit déclencher une tempête politique. Mais le précurseur et l'inspirateur, c'est Charles Ponzi qui a inventé la pyramide éponyme qu'a utilisée Madoff. Spectaculaires et révoltantes ces affaires, mais un presque épiphénomène à l'échelle de la planète. Ce qui n'a pas empêché des économistes d'essayer de modéliser ce qui déclenche les comportements de fraude. Voir même de mettre en parallèle les cycles économiques, notamment les bulles, avec une pyramide de Ponzi.
La finance-Ponzi
Rappelons brièvement le principe très simple de la pyramide de Ponzi. On attire quelques investisseurs en leur faisant miroiter des rendements très importants, en tout cas nettement supérieurs au marché. L'appât du gain aidant, un 2ème cercle d'investisseur apparaît et leur argent permet de payer les rendements promis au premiers. Et ainsi de suite. Les nouveaux entrants doivent être de plus en plus nombreux pour permettre au système de tourner, ce qui explique la forme pyramidale. Quand la base de celle-ci devient trop large et qu'il n'est plus possible de trouver de nouveaux investisseurs (ou si la combine est éventée), le système s'effondre. Et les derniers investisseurs perdent toute leur mise. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Madoff.
Or, que se passe-t-il lors de la formation de bulles spéculatives? Les investisseurs sont attirés vers une nouvelle classe d'actifs (les start-ups Internet par exemple) qui promettent des rendements nettement supérieurs au reste du marché. La valeur de ces actifs monte, attirant des investisseurs toujours plus nombreux, ce qui permet aux premiers entrants de réaliser de belles plus-values. Puis, une fois atteint le sommet, c'est le krach et les derniers entrants sont scotchés. Toublant, non? Si l'on élargit encore, on se rend compte que depuis 20 ans, l'économie et notamment la sphère financière s'est considérablement développée avec des taux d'intérêts bas et un crédit facile. Cette liquidité abondante a attiré des investissements énormes, alimenté des bulles (immobilières notamment) et toujours plus d'entrants, jusqu'aux ménages pauvres américains (via les subprimes). Jusqu'à l'effondrement et, là encore, des pertes notamment pour les derniers entrants (notamment les ménages américains expulsés ou les Irlandais ayant acheté au plus haut des prix immobiliers).
Elucubrations? Un économiste américain, Hyman Minsky, avait théorisé cela dans les années 60/70, dans l'indifférence quasi-générale (et un grand scepticisme). Mort en 1996, il n'a pas connu la crise actuelle qui donne du crédit à ses idées. L'idée de Minksy était la suivante: dans les cycle économiques où tout va bien, l'appréciation du risque devient erronée et l'aversion à celui-ci de plus en plus faible. Une première classe d'acteurs rentre: ceux-ci peuvent assurer à la fois le paiement du principal des dettes qu'ils contractent ainsi que les intérêts. Viennent ensuite les spéculateurs. Ceux-ci peuvent payer les intérêts mais doivent refinancer le principal au fur et à mesure. Puis viennent les «emprunteurs-Ponzi» qui ne peuvent rembourser ni le principal ni les intérêts. Plus la période de stabilité est longue, plus cette dernière classe d'emprunteurs devient importante et plus l'économie ressemble à un château de cartes qui finit par s'effondrer.
Or, l'économie mondiale a été portée depuis la vague néolibérale des années 80 par une expansion très forte (bien que marquée par de multiples crises) avec une explosion du crédit qui ressemble fort à ce que prédisait Minsky. Les derniers et plus emblématiques «emprunteurs-Ponzi», ce sont les ménages américains qui ont acheté leurs maisons via les fameux subprimes et qui n'avaient effectivement pas les moyens de rembourser leur prêt ni même d'en payer les intérêts au-delà de quelques années voire de quelques mois. Et c'est bien d'eux qu'est parti l'effondrement du système ...
Théoriser la fraude
Mais la théorie économique a été encore plus loin. Dans son grand dessein de modéliser les comportements humains et notamment de leur attribuer des facteurs rationnels et objectivables, ils ont tenté de modéliser les comportements frauduleux. Ainsi, Akerlof et Romer, en 1993, postulent que certaines fraudes ne sont pas des aberrations mais des réactions normales dans certains environnements réglementaires et économiques où il devient plus rationnel de frauder que de jouer le jeu. Ils s'appuient pour cela sur la crise des Caisses d'Epargne aux USA dans les années 1980. Pour faire simple, l'Etat, pour des raisons politiques, épongeait les dettes de ces établissements, même si ceux-ci étaient non rentables, éventuellement pour des raisons frauduleuses.
Mais leur modèle présente une grande faille: s'il est plus rentable de frauder, pourquoi tous les individus ne le font pas? Et ce, même si tous les acteurs possèdent l'information (le fait que certains ne fraudent pas n'était dans ce cas pas dû à ce que les «bons acteurs» ne connaissaient pas la combine). Les auteurs n'y répondent pas. Et pour cause, on touche ici à mon sens à la limite de la modélisation car interviennent des notions qui ne touchent plus à la rationalité «pure» mais à des éléments plus subjectifs, qu'on peut appeler, au choix, morale, valeurs, éthique, surmoi.
On peut ainsi voir le fait de contourner la loi (par des actes plus ou moins condamnables, allant de frauder le fisc à braquer une banque) comme un calcul bénéfices/risques au niveau de chaque individu. Si je veux frauder le fisc, quel est le gain potentiel, les chances de me faire prendre et le prix à payer dans ce cas (redressement avec pénalités)? Si je veux braquer une banque, étant donné le risque (prison), j'ai surtout intérêt à le faire si je suis dans une impasse totale (quelqu'un de relativement «établi» n'aura aucun intérêt à le faire étant donné le risque). Et pourtant, les individus qui passent à l'action ne sont pas forcément ceux qui ont le plus intérêt à le faire. Les braqueurs de banque ne sont pas systématiquement les plus fauchés et/ou désespérés. Preuve que la fraude ne peut se mettre en équation car intervient ici un élément irréductible à la modélisation: la psyché humaine. L'affaire Kerviel en fournit un bon exemple: le comportement du jeune trader a plus été influencé par des ressorts psychologiques (désir de revanche et de reconnaissance) que par opportunisme financier...
Photo © Reuters

http://resultat-exploitations.blogs.liberation.fr/finances/2011/01/madoff.html

Aucun commentaire :