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vendredi, juin 24, 2011

Rires collectifs


En marge du sommet de l’Otan, le Président a réuni vendredi soir à Lisbonne des journalistes pour se défendre dans l’affaire Karachi. Une scène étonnante.
Par DAVID DUFRESNE
Onze minutes et vingt secondes de souffle, de rires, de confidences, de gêne, d’exhortation à faire notre métier de journaliste. Onze minutes et vingt secondes de Nicolas Sarkozy tel qu’en lui-même, en marge du dîner officiel de l’Otan de vendredi. Onze minutes et vingt secondes d’un Président obsédé par les affaires, en quasi-roue libre, mi-détendu, mi-tendu, Karachi, Bettencourt, Clearstream. Retranscription intégrale.
Michaël Darmon (France 2) : «Qu’est-ce que vous répondez aux victimes de Karachi qui vous interpellent dans les derniers développements ?»
Nicolas Sarkozy : «Pardon, mais… je vous le dis à vous, je le dirai… parfois, certains de vos confrères, je ne leur fais pas le reproche mais, quand même, c’est curieux. La moitié des journaux disent que j’étais le trésorier de la campagne de Balladur. Monsieur Darmon, je vous pose une question est-ce que j’ai été trésorier de la campagne de Balladur ?»
M.D. : «Non.»
N.S. : «Non, je ne veux gêner personne, mais c’est simple de vérifier quand même… Est-ce que c’est pas difficile de vérifier ? Est-ce que j’ai été trésorier ou pas ? Je n’ai jamais été trésorier de la campagne de Balladur. D’autres disent que j’ai été directeur de la campagne de Balladur. Est-ce que j’ai été le directeur de la campagne de Balladur ? J’étais le porte-parole de Balladur. Bon, hein. Pourquoi ne pas être précis ? Deuxième chose, je n’ai jamais été ministre de la Défense, je ne suis pas au courant des contrats de sous-marins négociés à l’époque, avec un président qui s’appelle M. Mitterrand, un Premier ministre qui s’appelle M. Balladur, avec un ministre de la Défense qui s’appelle M. Léotard. En tant que ministre du Budget, je n’ai jamais eu à en connaître ni de près ni de loin puisque même… même… la procédure de validation, vous savez, par le ministre du Budget sur proposition du directeur général des impôts, a été supprimée en 1992 par M. Charasse, octobre 1992. Je n’ai donc même pas eu à le faire. Vous voyez ce que je veux dire ?
«Alors, alors… on me dit, il y a eu des commissions. Parfait. Personne n’a la moindre preuve de quoi que ce soit, personne. Ah, il y a de l’argent liquide sur la campagne de M. Balladur, très bien, OK, dont les comptes ont été validés par le Conseil constitutionnel. Ah oui, mais Sarkozy, c’était un soutien de Balladur, il est président de la République, donc il est dans le coup… Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Est-ce qu’il n’y a pas un moment, je vous le dis sans être agressé, est-ce que par moments, on peut être sérieux ? Est-ce qu’il y en a un seul parmi vous qui a vu un document qui me mette en cause ni de près, ni de loin ? Mais moi, sous prétexte que je suis président de la République, et que j’ai été porte-parole de la campagne de Balladur… Mais en quoi ? Y a-t-il un document qui me mette en cause, un seul ?»
Un journaliste : «Il semblerait qu’il y ait votre nom, que vous ayez donné votre aval à la création de deux sociétés au Luxembourg…»
N.S. : «Ah, Luxembourg ! Comme Clearstream !»
Un journaliste : «Non, je ne pensais pas à ça… Des sociétés par lesquelles seraient passées des rétrocommissions ?»
N.S. : «Mais jamais, mon pauvre, j’ai donné mon aval… Mais il y a une pièce qui dit que j’ai donné mon aval ?»
Un journaliste : «Manifestement, elle est dans le dossier du juge, oui.»
N.S. : «Une pièce avec le nom de Nicolas Sarkozy qui dit ça ? Mais enfin, écoutez, jamais. Je n’en ai aucun souvenir. Vous voyez le ministre du Budget qui va signer un document pour donner son aval à une société luxembourgeoise ? Pendant deux ans, on m’a poursuivi pour l’affaire Clearstream au Luxembourg. Tiens, c’était Van Ruymbeke [juge d’instruction, ndlr] aussi, tiens… C’était le même, ah ça, c’est curieux…»
Un journaliste : «Vous pensez que c’est la même mécanique…»
N.S. : «Ah ! J’en sais rien, mais enfin, je ne suis pas spécialiste du Luxembourg. Je n’ai pas de compte chez Clearstream. Mais vous vous rendez compte de ce que vous dites ? "Il semblerait." Vous êtes journaliste, dites-moi quelque chose… "Il semblerait", c’est quoi ?»
Un journaliste : «Je dis "il semblerait" parce que moi je n’ai pas accès au dossier du juge…»
N.S. : «Moi non plus. Le dossier du juge, personne n’y a accès. Remarquez, il communique avec tous les journalistes. Et ce brave M. Millon - c’est "off" ce que je vous dis - qui dit qu’il a une intime conviction. Une intime conviction, ah bon. On lui dit, si j’ai bien lu : "Mais alors ça se base sur quoi ?" "Des rapports oraux des services." Ah bon, quels services ? Quels services ? Qu’il dise un nom, un service. Mais personne, aucun service. "Ah, moi j’ai l’intime conviction que vous êtes un malhonnête." Sur quoi ? Les rapports oraux des services. Mais quels services ? C’est la DGSE ? C’est les Renseignements généraux ? C’est la DST ? Et à la DGSE, c’est monsieur Untel.
«Vous comprenez, c’est incroyable, c’est incroyable. Et après, moi, je dois me justifier. Et votre confrère, très sympathique : "Il semblerait que vous ayez donné votre accord pour la création de deux sociétés luxembourgeoises." Mais il connaît pas le nom des sociétés, il ne sait pas si il y a un document qui me met en cause en quoi que ce soit, et moi je réponds… Ce qui ferait, si je parlais "on" : "Nicolas Sarkozy dément avoir donné son accord." Mais écoutez, on est dans un monde de fous, quand même. Il n’y en a pas un seul parmi vous qui croit que je vais organiser des commissions et des rétrocommissions sur des sous-marins au Pakistan, c’est incroyable et ça devient le premier sujet à la télévision. Et vous - j’ai rien du tout contre vous -, "il semblerait que vous soyez pédophile…" Qui me l’a dit ? "J’en ai l’intime conviction. Les services. De source orale. Pouvez-vous vous justifier ?" Et ça devient : "Non, je ne suis pas pédophile."
«Mais attendez… faut être sérieux quand même. Soit vous avez quelque chose et dans ce cas-là j’y réponds bien volontiers. Soit vous n’avez rien et parlez-moi de choses intéressantes… Un jour, c’est sur Mme Bettencourt, un jour c’est sur Karachi, un troisième c’est sur Clearstream. Un quatrième, c’est sur des comptes que j’aurais en Suisse. Sortez-moi une bonne fois pour toutes ce que vous avez et parlons-en, mais vous ne pouvez pas être instrumentalisés - vous qui faites un métier sérieux - tous les jours sur n’importe quoi. Sur les déclarations d’un avocat excité. Soit il y a quelque chose, dans ce cas-là je m’explique bien volontiers. Soit il n’y a rien… Et je m’explique sur quoi ? Ecoutez… Quand même, c’est curieux. Ça remonte à 1994. Bientôt dix-sept ans. Bon, s’il y avait quelque chose sur moi, ça se serait trouvé vous croyez pas ? Non ? En dix-sept ans ? Enfin… Sous prétexte que j’ai soutenu M. Balladur… Oui, je l’ai soutenu. J’étais son porte-parole. Un type sérieux comme Bruno Dive écrivait dans Sud-Ouest«Nicolas Sarkozy est le trésorier de la campagne de Balladur.» Et il est journaliste politique, spécialiste… Mon Dieu, qu’est-ce que ça serait s’il ne l’était pas ? Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Mettez-vous à ma place, c’est votre métier quand même. Enfin, écoutez… Cela ne vous a pas suffi Clearstream et tout ça ? Faut recommencer ?
«Je suis pas du tout agressif, d’abord je vous en veux pas, non, mais attends, vous me trouvez fâché ? D’abord, le pauvre, il n’est pas pédophile. [Rires] Non, je ne le pense pas, mais… C’est pas un fait. Il me dit… en plus je le connais, je l’apprécie, j’ai aucun contentieux, il me dit "il semble que vous ayez donné l’autorisation à la constitution de deux sociétés luxembourgeoises". Je n’en ai aucune idée… Y a-t-il un document qui montre à un moment ou à un autre que j’ai donné instruction de créer des sociétés luxembourgeoises ? Alors peut-être que le ministère l’a fait à un moment, j’ai été ministre du Budget deux ans, peut-être, mais moi, non, jamais ! Vous comprenez, je ne sais pas, je n’en sais rien. Mais reconnaissez que la question ainsi posée est un petit peu vague pour se justifier, vous comprenez… [Un conseiller du Président lui propose de mettre un terme à l’échange] Oui, on va dîner.»
Un journaliste : «J’espère qu’on ne vous a pas coupé l’appétit.»
N.S. : «Mais non. C’est sans rancune, hein, le pédophile ?» [Rires collectifs]
Un journaliste : «Et sur l’Irlande, où est-ce que nous en sommes maintenant ?»
Autre journaliste : «On revient aux sujets sérieux…» [Rires collectifs]
N.S. : «Ne vous trompez pas, c’est un sujet sérieux. On ne va pas courir en permanence après la dernière boule puante comme ça. Ecoutez, vous êtes des gens sérieux, vous êtes des professionnels. Soit on vous donne des pièces et vous me demandez de me justifier, soit, dans ce cas-là, vous considérez que c’est de la manipulation, point. Vous n’avez pas besoin de moi pour ça, quand même…»
Un journaliste : «Vous pensez que tout ça est une cabale ? Vous y voyez des arrière-pensées politiques ?»
N.S. : «Mais non, c’est pas ce que je dis. Je dis : "Faites votre travail." C’est à vous de voir si c’est sérieux. C’est à vous de faire votre travail… D’ailleurs, vous le savez bien que ce n’est pas sérieux… C’est à vous de faire votre travail, vous me demandez de faire quoi ? Je ne suis pas journaliste enquêteur, vous avez le droit d’enquêter… Attendez, c’était quoi l’autre jour sur quoi je devais me justifier ? C’était le chauffeur de Mme Bettencourt qui tenait de la gouvernante aujourd’hui décédée de Mme Bettencourt - c’était, comment s’appelle-t-il, Mediapart ? - que j’avais demandé de l’argent à Mme Bettencourt. Et tout une après-midi, on a dû diffuser un communiqué de l’Elysée pour savoir ce qu’on répondait au chauffeur de Mme Bettencourt qui tenait de la gouvernante de Mme Bettencourt, aujourd’hui décédée, que j’avais demandé de l’argent à Mme Bettencourt… C’était la semaine dernière…»
Un journaliste: «Est-ce que…»
N.S. : «Ça n’arrête pas. Je ne parle pas du grand complot ou quoi, ce serait ridicule. Tant que vous donnez de l’importance… Donnez de l’importance quand vous voyez des faits. Rappelez-vous de Mme Thibout, la fameuse [ex-comptable de Liliane Bettencourt, ndlr], que vous avez martyrisée pendant deux jours sur j’ai demandé de l’argent à Mme Bettencourt pendant vingt ans, avant de vous rendre compte deux jours après que Mme Thibout n’avait pas dit ça à Mediapart, que Mme Thibout a commencé sa déposition à la police en disant "la romance de Mediapart", j’ai fait deux 20 heures, deux 13 heures là-dessus… Que ça vous serve de leçon, aussi. Ce n’est pas à moi de faire votre enquête, c’est à vous, vous êtes des grands garçons… professionnels. C’est à vous de voir si vous êtes manipulés ou pas. Pas à moi…»
Un journaliste : «Est-ce que vous êtes d’accord pour qu’on lève le secret sur tout un tas de documents qui permettraient peut-être de tirer tout ça au clair ?»
N.S. : «Mais tout à fait, mais tout à fait. Je ne suis pas d’accord pour qu’on déclassifie le… le… m’enfin, écoutez… On ne va pas tout déclassifier pour que les services secrets du monde se disent "l’information qu’on donne, ça va sortir". Je ne suis pas… J’ai le sens de l’Etat. Mais pour les documents… A ma connaissance, il n’y en a pas un seul qui ait été refusé.»
Un journaliste : «Bernard Accoyer refuse de mettre sur la place publique…»
N.S. : «Mais Bernard Accoyer, c’est Bernard Accoyer…»
Un journaliste : «Vous dites il n’y en a pas un…»
N.S. : «Oui mais pas un de l’Etat, pas un seul de l’Etat… Enfin ! Ecoutez, ça m’a fait plaisir de vous voir… [Bruits de chaises] Amis pédophiles, à demain !» [Rires collectifs]

http://www.liberation.fr/politiques/01012304117-sans-rancune-le-pedophile

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